La Political Ecology peut être définie en première instance comme l'étude des relations de pouvoir à propos de la gestion de l'espace et de l'environnement (inégalités dans les coûts et bénéfices, inéquités sociales). Utilisant une approche historique et combinant différents niveaux d'analyse, elle s'intéresse aux luttes et conflits de représentations tout aussi bien que celles relatifs à l'accès et à l'usage des ressources. Aussi, s'intéresse-t-elle en particulier à la production de connaissance, pour la science et pour la définition des politiques publiques. Elle est explicitement politisée , dans le sens où elle étudie les rapports de force. Elle s'oppose de ce fait à l'écologie scientifique apolitique qui n'étudie pas les asymétries sociales et les relations entre modèle de société et gestion des ressources naturelles.
Avec la montée des enjeux environnementaux au niveau local, national et international, accélérée par les changements globaux contemporains, des chercheurs s’intéressent de plus près à la dimension politique de ces enjeux, et en particulier aux relations de pouvoir entre les acteurs à propos de l’environnement. Ce tournant soulève des questions sur la place que les acteurs de la gestion environnementale (usagers, gestionnaires, chercheurs) accordent à la dimension politique. La Political Ecology (PE) essaie de prendre en compte des enjeux et des phénomènes à la fois politiques, économiques et écologiques. Les political ecologists ne se contentent pas de regarder les communautés locales pour expliquer l’usage des ressources naturelles. Ils explorent les rapports de pouvoirs à propos de l’environnement entre les acteurs tant au niveau local qu’international, et s’intéressent aux savoirs et aux pratiques des acteurs sociaux, différenciés par des facteurs divers (genre, appartenance ethnique..).
Dès les années 1970, le terme political ecology (PE) a été utilisé par des chercheurs anglophones en référence aux études qui traitent de la relation entre les sciences écologiques et les politiques environnementales. Ce champ de recherche combine l'écologie humaine, qui étudie la multiplicité des rapports entre les sociétés humaines et leurs environnements biophysiques respectifs, avec l'économie politique, qui étudie les rapports de pouvoir entre les acteurs et les sociétés (Robbins 2004; Peet and Watts 1996). Depuis lors, plusieurs disciplines, notamment l’anthropologie, la sociologie, la géographie, la biologie et les sciences politiques, se sont référés à la PE comme une approche qui permet d’intégrer l’économie politique et l’écologie culturelle pour analyser des problématiques de gestion environnementale. En se focalisant sur les facteurs qui expliquent les relations de pouvoir entre différents groupes humains et en mettant en relation des complexes Nature-Société locaux avec des processus globaux, la PE a produit des travaux qui remettent en question les interprétations dominantes sur les causes et les conséquences de la dégradation environnementale ainsi que les solutions pour résoudre ces problèmes.
Selon Paulson et al (2003), la PE s’est développée autour d’un ensemble de notions clés : 1) l’idée que l’usage et l’accès aux ressources s’organisent et se transmettent par des relations sociales qui peuvent imposer une pression de production excessive sur l’environnement (Watts 1983) ; 2) la reconnaissance des divers positions, perceptions, rationalités et intérêts en rapport avec l’environnement : « one person’s profit may be another’s toxic dump » (Blaikie 1985) ; 3) l’idée de connectivité à l’échelle du globe, qui suppose que des processus locaux sont influencés et influencent des processus globaux (Escobar 1999, 1998) ; 4) l’idée que la marginalité sociale est le résultat de processus politiques, économiques et écologiques qui se renforcent mutuellement : « land degradation is both a result and a cause of social marginalization » (Blaikie and Brookfield 1987 : 23). Alors que la political ecology se développait en Amérique du Nord comme une exploration des liens holistiques entre hommes et Nature, une approche différente s’est développée en Angleterre. Cette approche particulière de la political ecology s’est développée sur l’analyse de la construction politique et sociale des sciences écologiques, précédemment présentées comme politiquement neutres (cf. Ecology as politics, Blaikie and Brookfield 1987).
A partir des travaux de Forsyth (2003), Robbins (2004), Blaikie (Blaikie 1999), Zimmerer et Basset (2003), Peet et Watts (1996, 2004) et Stott et Sullivan (2000), nous pouvons identifier deux courants principaux au sein de la PE. Le premier comprend des travaux empiriques sur l’activisme environnemental associé aux luttes pour les ressources et la formation de l’État (Blaikie 1985; Bryant 2008; Bryant and Bailey 1997) qui proposent une analyse approfondie de la résistance environnementale de certains groupes sociaux. Cependant, ce type de travaux ne remet généralement pas en question ni les définitions associées aux idées de dégradation environnementale ni la façon dont ces définitions se construisent. Le second courant porte sur la construction de l’environnement et le rôle du discours et de l’action politique dans l’établissement de définitions acceptées (Peet and Watts 1996; Watts 1983; Peluso and Watts 2001). Cette approche permet de mieux comprendre les forces agissantes derrière la définition des politiques, mais la réalité physique des problèmes environnementaux qui opèrent au-delà de l’activité humaine tend à y être moins bien prise en compte.
Si certains political ecologists se concentrent en effet sur le contexte politique et social, d’autres donnent une place importante à l’étude des faits biophysiques et de leurs relations avec les conditions sociopolitiques qui l’accompagnent. Zimmerer et Bassett (2003) proposent de travailler autour des interactions socio-environnementales plutôt que sur ce qu’ils dénomment « environmental politics » ou « politicized environments ». Des études portent sur des concepts hybrides impliquant à la fois des changements biophysiques et des changements sociaux, croisant ainsi sciences biophysiques et sciences sociales, notamment celles de Turner (1999, 1999) sur l’élevage pastoral au Sahel, ou Zimmerer (2000) sur l’irrigation au Pérou et en Bolivie.
La PE propose une approche originale des travaux inter/transdisciplinaires. En étudiant son objet en entrecroisant plusieurs disciplines, la PE se présente comme une posture scientifique, intellectuelle et éthique qui se situe à la fois entre, à travers et au-delà de toute discipline. Bien qu’ancrée principalement en géographie critique, la PE appelle les différentes disciplines, plus qu’à simplement communiquer entre elles, mais à interagir afin de se modifier et de s’enrichir. Le virage post-structuraliste de la PE a produit des critiques sur la place de l’écologie et de la politique (Vayda and Walters 1999; Peet and Watts 1996; Walker 2005, 2006, 2007) dans la construction du champ actuel. D’une part, pour Vayda et Walters (1999), un problème des analyses en PE vient de la suprématie a priori des facteurs politiques pour expliquer les changements environnementaux. Pour ces auteurs, ce type de PE qui a tendance à se concentrer sur la politique au détriment de l’écologie ne devrait pas s’appeler PE mais plutôt politique des ressources naturelles ou anthropologie politique. Ces critiques s’adressent en particulier à la political ecology telle que la pratique Peets et Watts. En effet, dans la critique que ces derniers font de la political ecology type Brookfield and Blaikie (1987) et de leurs « chaînes explicatives », Peet et Watts plaident pour une « liberation ecology » produit de l'engagement avec l'économie politique, le champ d'étude sur Savoir/Pouvoir et des approches critiques de la science écologique (Peet and Watts 1996 : 13). Leur PE, de caractère poststructuraliste, met au cœur de son analyse la question de la capacité des agents d'agir sur le monde (agentivité) et ainsi de créer la société. En effet, l'expérience d'être agents et non seulement spectateur modèle le processus d'acquisition, de création et d'usage des concepts et des hypothèses.
Références
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